Sinistra
Aujourd'hui 7 octobre : jour de gloire !
Depuis un an et quelques, je me suis remise à écrire de la main gauche que j'avais abandonnée en CE1 sur les ordres de ma pute de maîtresse. J'étais droitière avant; mais je me suis cassée la clavicule droite et, plutôt qu'attendre bêtement que mes petits camarades me filent leurs cours, j'usai de ma main gauche. J'appris vite et bien à tel point que les deux écritures, à la fin de ma convalescence, se confondaient. Mais pour une obscure raison la maîtresse m'interdit d'écrire de la gauche. Mon jeune esprit ferma sa gueule, et je ne retentai pas, même après, de me servir à nouveau de la délaissée.
Jusqu'à l'an dernier, ou un peu avant. Je me mis à faire comme ma mère m'avait raconté à propos de son père, ambidextre, qui écrivait d'un côté des feuilles de la main droite, de l'autre de la main gauche. Après plusieurs ajustements techniques et entraînements relous, j'arrivai à une solution parfaite me permettant de prendre, sans retard aucun, tous mes cours. Moitié main droite, moitié main gauche.
Une double frustration me rongeait cependant : d'une part, l'écriture main gauche n'avait pas la souplesse de la main droite. Et c'est toujours le cas. D'autre part, et c'est le plus important, en termes de vitesse les deux mains n'étaient pas équivalentes , ainsi je pouvais prendre un cours en entier de la main droite, mais pas de la main gauche qui accumulait à la fois trop de retard et de douleur.
Et puis c'est venu d'un coup, aujourd'hui... Un événement précurseur m'avait cependant interpelée hier : en effet, à un moment, fatiguée d'écrire de la main droite, j'ai changé de main sans y penser alors que d'ordinaire tout est bien ergonomique et calculé pour gagner du temps. Et donc, ce matin, j'ai commencé, à un moment, à écrire de la main gauche, et je ne me suis pas arrêtée. Pas plus de lenteur, pas plus de fatigue qu'avec l'autre main.
C'est très subjectif mais la vitesse d'écriture est le critère qui me manquait pour pouvoir affirmer sans avoir l'impression de mentir un peu que je suis ambidextre. La souplesse viendra plus tard, ou ne viendra pas, car après tout, il y a des tas de gens qui ont une écriture "'pas souple" et vu que je suis partie pour ne pas écrire du tout de la même façon, à la destination finale, des deux mains, ce n'est pas forcément révélateur de grand-chose.
Ça paraît idiot mais ça m'a vraiment rendue triste, l'idée que je puisse avoir gâché quelque chose de façon irrémédiable. Mes efforts ont porté. Me suis pas découragée. J'ai été tellement énervée de ma lenteur, de mon manque de finesse... Aujourd'hui la main suit le rythme. Elle a pris de l'aisance, file sur le papier joyeuse et assurée.
Impression de rentrer chez soi après de longues années d'absence ; de sentir la balance du cerveau se rééquilibrer petit à petit.
Impression de m'être contrainte et fait violence pendant 15 ans.
Impression d'emmerder profondément la vieille & moche connasse qui a osé entraver le développement d'une compétence. A-t-on idée.
NB : "sinistra" veut dire "gauche" en italien.