Épisode 2 : Narcissisme.

Il y a peut-être 3 semaines, un mois de ça (je me suis absentée longtemps à cause des divers événements récents), j'ai rendu visite à une petite femme toute simple, assez maigre. Elle m'a parlé pendant 2h sans discontinuer, de tout ce que sa maladie avait changé dans sa façon de voir les choses. Je ne suis pas une adepte de la philosophie selon laquelle la souffrance rend supérieurement philosophe, mais apparemment, c'est une chose très fréquente que de changer quand, un jour, on est frappé par cette maladie en particulier (un truc assez foudroyant, qui plonge dans le coma, mais dont on peut se remettre à la perfection), aux dires de l'entourage et du personnel soignant. Où est le narcissisme dans l'histoire ? Le voici, je cite la dame : "Je fais du tri là, depuis que je suis sortie du coma... Hier, y'a une personne comme vous qui est passée me voir pour me tenir compagnie. Je lui ai dit que j'avais rien de spécial à raconter. Vous j'ai senti que je pouvais vous parler. Je fais le tri !".

Épisode 3 : Parole.

Aujourd'hui même, j'ai tenu une heure de discussion avec des personnes dont je comprenais entre 0 et 1 mot sur 25.

. Une dame tout d'abord, qui semble ne pas comprendre le français, très affectueuse, m'embrasse la main. Puis me demande par geste de lui enlever le tissu qui la tient à son fauteuil : après consultation d'un infirmier (ou aide-soignant?) je reviens penaude lui expliquer que je ne peux rien faire, qu'il faut laisser le tissu car si elle se levait, elle tomberait et se blesserait. Elle me regarde et ne comprend pas, ou plus simplement peut-être elle s'en tamponne le coquillard, et réitère ses tentatives d'enlever le tissu. Elle n'en détournera pas son attention.

. Un papy ensuite. Ronchon de prime abord, il se montre ronchon de second puis de tiers abord, probablement parce qu'il est ronchon tout court, mais ronchon à l'égard du monde actuel qu'il semble trouver cruel et froid. Il est choqué que l'hôpital ne me fournisse pas à manger (on est à l'heure des repas) car il pense vraisemblablement que je suis une salariée de la Fondation ; il est choqué par d'autres choses qui ont trait au fonctionnement du social. Mais surtout, il est très sympathique, il a de l'humour avec un peu tout le monde ; il parle beaucoup, ses problèmes de parole sont uniquement physiques, car il est sociable et lucide. Je m'efforce de faire preuve du minimum vital d'empathie pour savoir quelles expressions faire passer sur mon visage en fonction des siennes, et cela marche au vu de son attitude, très cohérente et semblable à celles des gens qui sont compris quand ils parlent.

. Enfin, un quadra. Je l'avais repéré dès mon arrivée à l'étage, j'aimais vraiment bien son visage. Il doit être charismatique - non, en fait je le trouve réellement charismatique, malgré son accent, son manque de vocabulaire, le peu de paroles qu'il prononce ; il donne envie de rester en sa compagnie. Il est roumain, parle très mal et très peu le français. C'est encore plus dur qu'avec le précédent de faire semblant de comprendre puisque son vocabulaire est très limité. Il a des manières typiques d'Europe centrale, se montre très courtois et expressif.

Repas de Noël à la Fondation : La Vieille Conne.

Comme son titre l'indique, cette anecdote ne date pas d'hier. Quelques extraits de la conversation (je la cite elle, pas moi) que j'ai eue avec une vieille désagréable au possible sous ses sourires secs de fausse philosophe, toute bénévole qu'elle fût.

- Vous voyez, moi dans ma vie, j'ai pas fait d'études, mais à la place j'ai fait d'autres choses, j'ai vu des tas de trucs différents.

Il est de notoriété publique que, quand on fait 5 ans d'études, c'est comme si on passait 55 ans dans une tour d'ivoire. Évidemment... ça empêche de faire quoi que ce soit d'autre dans toute son existence, qui se réduit à lire de froids bouquins déconnectés de toute réalité.

- Vous êtes à la neuro ? Moi en psychiatrie. Oh non vous savez, c'est pareil. (elle marque une légère pause dans son discours, m'adresse un sourire ému, sage, philosophe et didactique, puis m'assène:) c'est avant tout un être humain qui souffre, que ce soit du cancer ou d'une maladie mentale, il a avant tout besoin d'être écouté.

Heureusement qu'elle est là ! c'est pas les méchants médicaments des méchants psychiatres qui n'écoutent méchamment pas qui vont aider les gentils malades à s'en sortir. Heureusement qu'elle est là également pour me rappeler que ce sont des êtres humains. Après tout, ça n'est pas une évidence, j'aurais pu oublier... Et ça, pas mal non plus :

- Je suis âgée mais pas seule. Les personnes âgées isolées devraient se bouger un peu, si elles sont seules c'est parce qu'elles le veulent bien, moi je me bouge, je ne me laisse pas faire au moins...

Je n'ai rien contre le bénévolat de ce genre de personnes. Ça ne les empêche pas de faire de bonnes choses, de bien se débrouiller ; seul le résultat compte et si son faux humanisme de bonne conscience arrive à donner le change pour rendre les malades un peu plus joyeux, ma foi... Bien sûr, il est facile de ma part de critiquer cette dame qui, malgré tout, fait de son mieux. Je la cite et commente, c'est pas très courageux ; d'une,pourquoi ne pas le lui avoir dit en face ? Tout simplement parce qu'elle m'inspirait un tel rejet que je ne voulais pas m'impliquer et partant, me rapprocher d'elle, en la contredisant. De deux, pourquoi tant de haine ? Parce qu'elle respire la méchanceté et le snobisme sous de beaux discours, une nature profonde de grand inquisiteur moraliste et rigide. Et naturellement... elle porte un manteau en fourrure.

Pompidou's Foundation 2 & 3 + La Vieille Conne

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